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Je regardais son épaule et je regardais son cou. J'eus l'impression fugitive de
reconnaître cette pose relâchée, presque lasse mais sans n'y attarder.
Elle se retournait de temps en temps dans une posture maladroite pour
regarder les images qui défilaient au-dessus d'elle.
Je me concentrais depuis un moment sur ma lecture quand le garçon
entra pour servir.
Tandis qu'il s'adressait à la jeune femme, celle-ci laissa la banquette
pour s'installer de l'autre côté de la table faisant face maintenant à
l'écran.
Je l'observai un moment sans qu'elle s'en aperçût, regardant sur ses
verres les éclats de lumière colorée qui s'y reflétaient.
Brusquement, est-ce une illusion, ou l'avais-je prononcé moi-même ?
J'entendis murmurer : "Superbagnères". Je me retournai pour regarder
l'image et je reconnus un pan de montagne sous des lambeaux de neige
d'été, un chalet sur son flanc, une combe et son petit lac bleu.
Ce bleu était sur le visage qui me faisait face, figé une seconde dans
une crispation confuse. Alors les lunettes disparurent, l'ovale du
visage s'affina, le regard tourné maintenant vers moi se rida de ce
sourire que je retrouvais.
- Véronique !
- Jérôme !
Quinze années basculèrent, me ramenant brusquement sur l'écran, dans ce
paysage que je reconnaissais sans sa couverture de neige.
C'était Véronique, cette jeune-fille venue de si loin, qui m'avait
facilement trompé sur son âge, adroite à skier près de moi. Nous avions
passé ensemble un mois d'hiver dans ce lieu exceptionnel à ce moment de
la vie où tout est beau et quand on se dit les choses dans un simple
regard, une caresse sur une joue brunie par les vents de neige.
Suite>> 3
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